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En banlieue

22 juin 2008

Balade sur l'autoroute A6, entre Arcueil et Villejuif

Regarder la banlieue ne s'improvise pas.

L_A6

Les obstacles qui s'offrent à l'oeil sont nombreux. L'autoroute prend une place envahissante dans l'espace ci-contre. Elle domine le paysage, comme s'il n'existait plus que pour elle et par le relief qu'elle lui donne. Sur ses garde-fous, des murs écrans anti-bruit dressent une muraille qui l'enferme et déforme le paysage.

Ici, la Maison des Examens à Arcueil se devine difficilement derrière les Plexiglas abondamment taggés. Quelques fougères parviennent néanmoins à survivre dans cette atmosphère fétide, et donnent une touche presque bucolique à cette désolation. Au fond, la banlieue est un prisme au travers duquel la réalité nous paraît forcément déformée.

Mais n'est-il pas aussi intéressant de regarder le prisme et d'en saisir la beauté?

Prenons un peu de hauteur et regardons la même autoroute, au même endroit, sans l'écran de Plexiglas. Elle n'apparaît plus que comme un fil qui délimite le paysage, comme une ligne d'horizon.

Au_dessus_de_l_A6

Derrière un liseré de verdure, la mince lanière de Plexiglas apparaît insignifiante sous des forteresses monumentales qui descendent en cascade vers le fond de la vallée. Des constructions presque baroques se serrent les unes contre les autres, comme une civilisation futuriste où la surpopulation oblige à l'exiguïté.

En modifiant quelque peu son point de vue, l'oeil découvre que, sous l'autoroute, au pied des forteresses, la vie suit son cours.

Sous_l_autoroute__la_f_te

Dans une sorte d'indifférence à la monumentalité froide, des tentes sont montées et des gens se rencontrent pour se divertir. On boit du rhum, on écoute de la musique, les enfants jouent, on papote en les suivant du coin de l'oeil. L'espace qu'on imaginait mort ou désertique, est le lieu d'une vie indolente.

Un_village_nomade

Contre toute attente, les piliers de l'autoroute sont devenus les piliers d'une grotte où, à l'ombre fraîche, des nomades passent un moment convivial ensemble. Les populations se brassent, les couleurs se mélangent. Le cadre est même verdoyant.

Au moment de quitter le village nomade, on emprunte des chemins de traverse.

L_autoroute_bucolique

Et c'est un monde bucolique qui se révèle à nous. Des sentiers ombragés, verdoyants, donnent l'impression que le paysage de banlieue, même au bord d'une autoroute, est une partie de la nature, comme si de tout temps la ville avait existé et s'était répandue ici sous la forme qu'on lui connaît.

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22 juin 2008

Pourquoi une poétique de la banlieue?

Contrairement aux paysages de centre ville, qui sont directement lisibles ou qui, s'ils ne le sont pas, sont rendus lisibles par des guides touristiques, la banlieue est un champ difficile à discerner.

Sur cette photo, par exemple, l'oeil est forcément attiré par l'autoroute qui surplombe et scinde le paysage en deux univers distincts. En haut, les immeubles blancs de Villejuif donnent une luminosité intense à l'image. Ils sont organisés autour d'une fracture imposée par les petits immeubles au centre (le commissariat).

L_autoroute_A6___Arcueil

Au-dessous de l'autoroute, le bâti presque familial d'Arcueil apporte une touche de rouge, presque d'obscurité, au spectacle ainsi organisé autour de l'autoroute, comme une fracture naturelle, géologique, dans l'espace humain.

Cette image du Val de Bièvre résume bien la difficulté à lire le paysage de banlieue. La chaussée, l'utile, absorbe le regard et éclipse l'architecture des communes. Dans cet embrouillamini, la banlieue apparait comme un espace tout entier dédié à la production, et sa dimension humaine disparait. Il faut un effort de l'esprit pour la dégager, pour lui donner sens, et même pour en apprécier la beauté.

L'image suivante est prise sous l'autoroute A6, exactement à l'aplomb du tronçon vu sur la photo précédente.

Arcueil__sous_l_autoroute_A6

Ici, le paysage s'est transformé. L'autoroute apparaît toujours aussi envahissante dans l'espace. Vue d'en bas, elle ne ressemble d'ailleurs plus à une autoroute (du moins l'oeil non averti ne peut-il spontanément s'assurer qu'il s'agit d'une autoroute!). Elle est un élément du paysage, comme si elle avait été créée par la nature, à la manière d'un rocher. Au pied de cette anomalie géologique, les gens se rassemblent et font des fêtes. Soudain, l'utile, le laid, devient le contexte anecdotique d'une organisation humaine qui se déploie comme partout ailleurs.

La photo montre une fête de quartier où des musiciens produisaient du jazz écossais (!!!) devant une assistance clairsemée, en fin de journée.

C'est aussi cela, la banlieue: une colonisation par l'homme d'une nature hostile, d'un paysage hors norme. Dans cet effort de reconquête du réel, l'affectio societatis s'exprime avec bonhomie et convivialité. Non, la banlieue n'est pas cet espace de barbarie effroyable qu'on nous livre dans les médias. Elle est une terre des hommes, où l'oeil doit se métamorphoser, pour cesser de voir l'utile et pour accéder au pittoresque, au vivace, au sens.

L'urgence d'une poétique de la banlieue se manifeste ici. Arrêtons de voir dans ces espaces urbains un monde vide, une laideur productive. Regardons-les avec les yeux des poètes, et relevons-y les beautés insoupçonnées.

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En banlieue
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